Pour ce roman familial, Benoît Duteurtre a aiguisé son art de la dérision tranquille. Sans rancoeur et sans agressivité, retrouvant les rythmes chaloupés du style qui fit le succès de "La petite fille et la cigarette", il raconte l'univers dans lequel il a grandi. Né en 1960 à Sainte-Adresse à proximité du Havre, il fait ses armes à l'ombre des falaises d'Étretat. Au programme, un catholicisme bon teint, qui s'ouvre sans y adhérer vraiment aux révolutions de mai 68. Le tout sous la figure tutélaire de l'ancêtre qui fait la fierté de la famille. Le président René Coty, hôte de l'Elysée de 1953 à 1958, est celui qui rappela le général de Gaulle à son poste. Son arrière-petit-fils, l'écrivain Benoît Duteurtre, ne l'a pas connu (René Coty est mort en 1962), mais il lui est difficile d'échapper à l'évocation du "grand homme" mal aimé des Français et aux tentatives maladroites de ses tantes pour le réhabiliter. Tout cela dans l'une de ces demeures en bord de mer, ces "folies" où l'été stagnent les rancoeurs, les piques acérées, les conflits sourds.
Se détacher, s'enraciner
Ce récit autobiographique mêlant observation sociale, humour et poésie
montre combien la position de Benoît Duteurtre au sein de cette famille a
nourri sa philosophie de la vie. Car sa famille n'est conformiste qu'en
apparence, et plus tard, quand il inaugure la comédie sociale de la France
contemporaine (L'amoureux malgré lui, Tout doit disparaître), c'est avec ce
franc décalage qui le sépare du rang social dans lequel il a baigné enfant.
Nostalgique pourtant, l'écrivain l'est encore, tant il semble attaché à ses
rivages normands, synonymes d'une époque révolue.
"Le 29 septembre 1990,
une vingtaine de descendants de René Coty se retrouvèrent à l'Élysée. Chez
les petites-filles du Président, d'ordinaire si ardentes à rompre avec le
passé, l'opportunité sembla éveiller un brin d'amusement. Les années
glorieuses s'éloignaient suffisamment pour prendre un arrière-goût
folklorique. Tout le monde avait oublié le nom de Coty sauf pour le
confondre avec celui d'un parfumeur. L'époque présidentielle ne représentait
plus une menace avec ses privilèges. Rien ne pouvait désormais entraver le
triomphe de cette vie normale vers laquelle ma famille inclinait depuis
trente ans."
Décidément, le Benoît Duteurtre satiriste du monde moderne,
semble avoir laissé sur la falaise d'Etretat son cynisme pour un babille
courtois, ce qui pour Shopenhauer était "la condition essentielle de la vie
en société."
Renée Lauster pour beaute-femme.org
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